
Danse nue, escorte ou encore webcams érotiques sont le quotidien d’étudiants ayant choisi -par défi, plaisir ou nécessité- de monnayer leurs atouts physiques. Peu de données existent au sujet des hommes qui pratiquent ces activités tarifées. Moins nombreux que les femmes, ils sont pourtant présents sur les bancs de l’université.
[Note de l’auteur : Une version différente de cet article est parue dans les éditions papier et web du journal Quartier Libre. En raison de désaccords éditoriaux, notamment en ce qui concerne le titre et certains ajouts et modifications dans le corps du texte, il est publié ici dans sa version originale.]
Le phénomène du travail du sexe au masculin, y compris parmi les étudiants, n’a rien d’inédit selon le sociologue spécialiste de la sexualité à l’Université Laval, Michel Dorais. Le facteur économique arrive en tête des raisons évoquées. « Le travail du sexe est considéré comme une source de revenus rapide, plus avantageuse qu’un job au salaire minimum », constate M. Dorais. Étudiant en sciences sociales, Dave[1], 29 ans, a été escorte pendant six mois. « Je cumulais études et travail à temps plein. J’avais peu de prêts, pas de bourse. Au bout d’un certain temps, t’as plus d’énergie, tu te dis “Crisse, c’est quoi la solution ?“. Je me suis inscrit sur un site d’escortes pour voir. »
« Je peux le faire, alors pourquoi pas ? »
Le commerce des services sexuels pourrait faire l’objet d’une banalisation auprès des jeunes générations, en particulier dans un contexte urbain. Un phénomène probablement accentué par le stress économique. « C’est une option qui passe peut-être de plus en plus par la tête des étudiants », suppose le travailleur social et candidat sexologue, Michel Martel. « À un moment donné, ils peuvent le voir comme une éventualité possible et se dire “Je peux le faire, alors pourquoi pas ?“ ».
Michel Dorais évoque quant à lui une certaine insouciance propre à la jeunesse en général ainsi que, chez les garçons en particulier, la notion de trip, d’aventure à tenter. Originaire de Trois-Rivières, Alex[2], 27 ans, vient d’obtenir un baccalauréat par cumul de certificats en administration, marketing et ressources humaines. Il danse au club montréalais 281 depuis plus d’un an. « C’était aussi un défi qu’on se lançait entre gars au secondaire. Moi, j’ai eu le guts de le réaliser », plaisante-t-il.
La notion de plaisir est présente chez Xavier[3], 22 ans, étudiant montréalais qui se livre à des sessions de webcam érotiques depuis huit mois. « J’aime le sexe et pour moi ce n’est pas vraiment un travail, c’est plutôt un divertissement », explique le jeune homme. Il préfère néanmoins garder secrètes ses séances de sexe en ligne. D’autres ont choisi de révéler leurs activités à des proches. Pour Alex, la popularité de son lieu de travail a facilité les choses. « Depuis que je travaille au 281, je ne suis pas gêné d’en parler. Ma famille le sait, ma sœur est déjà venue me voir, affirme-t-il. J’ai même dansé pour une madame de 90 ans qui connaissait mon grand-père ! », se souvient le danseur. Pour Dave, la confidence était avant tout une question de sécurité. « J’ai commencé à me confier à des amis lorsque je me suis senti en danger avec un client », déclare le jeune homme. Pouvoir en parler a également été essentiel à son équilibre.
Une expérience exigeante mais transitoire
Le sexe tarifé est loin d’être une partie de plaisir pour tous. Cela requiert bien davantage que des compétences physiques, signale M. Martel. « C’est une option qui est considérée parce qu’elle ne demande pas de formation, mais il faut des atouts, notamment une certaine résilience afin de ne pas se laisser atteindre psychologiquement », soutient le travailleur social.
Dave, le plus âgé, a décidé de gérer son activité d’escorte comme une véritable petite entreprise. « J’avais la tête froide et confiance en moi, une capacité de gestion et d’organisation plus développées qu’au début de la vingtaine », déclare-t-il.
Le travail du sexe au masculin se distingue généralement de celui des femmes par une plus grande autonomie des pratiques et échappe ainsi plus souvent au joug des réseaux de proxénétisme. Chez les étudiants, il correspond rarement à des trajectoires de marginalisation.
Par conséquent, ils peuvent choisir des activités jugées plus sécuritaires, lucratives, ou encore avec lesquelles ils se sentent à l’aise. M. Dorais observe notamment une tendance parmi les jeunes et les étudiants à s’adonner aux actes érotiques en ligne. Il attribue ce phénomène à la recrudescence des sites de webcam, au sentiment d’anonymat et de sécurité que ce type de travail peut leur conférer. Il précise toutefois que les filles sont encore davantage concernées par cette situation, en raison d’une plus forte demande pour les prestations féminines virtuelles.
Xavier, lui, a choisi le format webcam car il trouvait cela « plus sain ». Il a tenté d’aller au-delà mais l’expérience lui a déplu. « Escorte, je l’ai fait une fois pour l’argent. Mais honnêtement, je ne le ferai plus. Je suis ressorti de là pas super fier », avoue-t-il.
Pour la même raison, Alex appartient à la minorité de danseurs qui se limitent à l’effeuillage et refusent la « danse-contact ». « C’est très exigeant mentalement. Que tu le veuilles ou non, quand tu arrives chez toi, tu as comme un sentiment de dévalorisation. Tsé, se faire toucher pour de l’argent… », raconte le danseur du 281.
Le travail du sexe parmi les étudiants est la plupart du temps une expérience transitoire. « Ce n’est jamais, ou très rarement, un choix de carrière. Les étudiants voient cela comme une transition. Ils se disent que c’est en attendant », observe M. Dorais.
La fin des études marque d’ailleurs bien souvent l’arrêt de ces jobs étudiants pas comme les autres. Xavier compte cesser les webcams dans un avenir proche et reprendre un emploi plus conventionnel. Avec son diplôme en poche, Alex envisage de mettre un terme à ses activités de danseur et de se consacrer à une future carrière en lien avec son cursus. Dave, quant à lui, a clos son profil d’escorte afin de privilégier sa vie amoureuse.
Des avantages et des risques
Pour Alex, être danseur nu a surtout eu des effets positifs. « Cela m’a apporté confiance en moi, beaucoup de rencontres et une plus grande ouverture d’esprit. » Il regrette d’ailleurs que le métier soit si mal perçu. « C’est un domaine sur lequel il y a beaucoup de désinformation. Les gens pensent que les danseurs sont des gens instables et peu sérieux, or c’est loin d’être le cas », insiste-t-il. Même son de cloche chez Xavier. « C’est plutôt le fun, je ne vois pas grand chose de pervers là-dedans. » Dave, de son côté, retient avant tout les avantages de l’argent facile. Mais il évoque aussi le défi émotionnel posé par sa clientèle, constituée en majorité d’hommes plus âgés, maris et pères de famille peinant à assumer leur homosexualité. « C’était difficile, d’être confronté à tant de souffrance. » Il a néanmoins apprécié le rôle d’écoute qu’il a été amené à tenir, au-delà de l’aspect physique. « C’était un échange de services à tous les niveaux », affirme Dave. Cependant, aucun d’entre eux n’envisage de recommencer un jour.
Les trois jeunes hommes reconnaissent certains aspects négatifs à leurs pratiques respectives. Comme le rappelle Michel Dorais, vendre des services liés à la sexualité comporte toujours des risques physiques, psychologiques ou légaux dans le contexte actuel. À l’instar des étudiants rencontrés, il s’inquiète aussi des retombées possibles sur leur avenir professionnel. La réalité des étudiants qui flirtent avec le travail du sexe semble encore méconnue, notamment car elle est difficile à appréhender. « Ils sont invisibles parce qu’ils veulent bien le rester. Ils iront rarement s’identifier en allant solliciter les organismes communautaires », remarque M. Martel. « Sont-ils pour autant à l’abri, ou pourraient-ils bénéficier de certaines ressources ? », s’interroge-t-il. « Pour le savoir, il faudrait leur donner une parole», conclut le travailleur social.
Xuân Ducandas et Laurence Renault
[1] Pour préserver l’anonymat des participants, les prénoms ont été changés.
[2] Pour préserver l’anonymat des participants, les prénoms ont été changés.
[3] Pour préserver l’anonymat des participants, les prénoms ont été changés.
Article paru dans l’édition du 4 septembre 2013 du Quartier Libre (Numéro 1, Société, Volume 1).